Dans un geste audacieux et révélateur des tensions géopolitiques actuelles autour des technologies stratégiques, les Pays-Bas ont décidé de prendre des mesures exceptionnelles. Le gouvernement néerlandais a en effet placé Nexperia, une entreprise de semi-conducteurs pourtant basée sur son territoire mais filiale du conglomérat chinois Wingtech, sous un contrôle étatique direct. Cette décision, activant une loi d’urgence rarement utilisée, la « Goods Availability Act », souligne l’importance critique que les nations occidentales accordent désormais à la sécurité de leurs approvisionnements et à la protection de leur souveraineté technologique, en particulier dans le secteur vital des semi-conducteurs.
Une Mesure d’Urgence pour la Sécurité Économique
Le ministère de l’Économie néerlandais a justifié cette intervention radicale par l’existence de « graves lacunes de gouvernance » au sein de Nexperia. Pour La Haye, ces déficiences mettaient en péril la capacité de l’entreprise à garantir la continuité de ses opérations en Europe en cas de crise majeure. Les autorités ont clairement affirmé que de tels signaux constituaient une « menace pour la sécurité économique néerlandaise et européenne ». L’objectif de cette manœuvre est limpide : assurer la pérennité de la production de puces électroniques, un composant indispensable à l’économie moderne, tout en conservant une emprise stratégique sur une technologie clé. Vincent Karremans, le ministre en charge, détient désormais le pouvoir de bloquer toute décision de Nexperia qui irait à l’encontre des intérêts nationaux. Il s’agit de maîtriser les chaînes d’approvisionnement sans pour autant paralyser l’activité de production.
La Bataille Mondiale pour le Contrôle des Puces
Cette initiative néerlandaise ne s’inscrit pas dans un vide, mais dans un contexte de compétition mondiale acharnée pour le leadership dans le domaine des semi-conducteurs. La pandémie de COVID-19, et la crise d’approvisionnement subséquente en 2020, ont mis en lumière la vulnérabilité des chaînes logistiques mondiales et la dépendance de nombreuses industries vis-à-vis d’un nombre restreint de producteurs asiatiques. Depuis lors, une véritable course à la relocalisation et au renforcement de la souveraineté industrielle s’est engagée. L’Union Européenne a ainsi lancé son ambitieux « Chips Act », doté de milliards d’euros, dans le but de doubler sa part de marché mondiale dans la production de semi-conducteurs d’ici 2030. De l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis investissent massivement pour stimuler leur propre capacité de fabrication, conscientes de l’enjeu stratégique que représentent ces composants pour leur économie et leur défense. Il est à noter que ASML, le leader mondial des machines de lithographie nécessaires à la fabrication des puces les plus avancées, est également une entreprise néerlandaise, renforçant la position centrale des Pays-Bas dans cet échiquier technologique.
Un Historique de Tensions et de Mises en Garde
Ce n’est pas la première fois que Nexperia, par ses liens avec Wingtech, se retrouve au cœur de préoccupations sécuritaires. Au Royaume-Uni, l’entreprise avait déjà été contrainte, en 2022, de céder son usine de Newport, une décision motivée par des raisons de sécurité nationale similaires. Aux États-Unis, la maison mère Wingtech figure depuis décembre dernier sur la « entity list » du département du Commerce, une liste noire qui restreint l’exportation de technologies américaines vers les entités jugées à risque pour la sécurité nationale. Ces précédents témoignent d’une méfiance croissante des gouvernements occidentaux envers les entreprises technologiques ayant des liens étroits avec la Chine, craignant qu’elles ne soient utilisées comme leviers d’influence ou de perturbation en cas de conflit géopolitique.
La Réaction Chinoise et les Implications Géopolitiques
Comme on pouvait s’y attendre, la décision néerlandaise n’a pas tardé à provoquer une réaction virulente de la part de Pékin. L’association chinoise de l’industrie des semi-conducteurs a exprimé sa « sérieuse préoccupation », qualifiant la mesure de « discriminatoire » envers les entreprises étrangères et menaçant l’ouverture du marché. De son côté, Wingtech a clairement annoncé son intention de « défendre ses droits » et de recourir à des voies juridiques pour contester cette mainmise. Cet épisode illustre parfaitement la fracture grandissante entre l’Occident et la Chine sur les questions technologiques. La crainte principale des capitales européennes est qu’une entreprise sous contrôle chinois puisse, en cas de tensions accrues avec Pékin, couper délibérément l’approvisionnement en composants essentiels vers l’Europe, paralysant ainsi des secteurs entiers, de l’automobile aux smartphones, en passant par les infrastructures industrielles. Pour éviter de se retrouver à la merci de telles pressions, les gouvernements européens choisissent désormais d’anticiper, quitte à froisser un partenaire économique majeur.
Préserver l’Avenir Technologique Européen
L’action des Pays-Bas avec Nexperia n’est pas un cas isolé, mais un symptôme d’une reconfiguration profonde de l’économie mondiale où la technologie, et en particulier les semi-conducteurs, est devenue le pivot de la puissance et de la sécurité nationales. En prenant des mesures décisives pour protéger leurs industries stratégiques, les nations européennes cherchent à construire une résilience et une autonomie accrues, garantissant ainsi la stabilité de leurs économies et leur capacité à innover dans un monde de plus en plus fragmenté. C’est un pari sur l’avenir, où la souveraineté technologique est perçue comme un pilier indispensable à la prospérité et à la sécurité collective.